Stock-options : explication de texte

Point de vue

C’est bien l’excès d’impôt qui a engendré les stock-options

 Voici un court article rédigé pour Le Figaro par François d’Orcival et qui a mon avis méritait bien une petite explication de texte …

d-orcival-stock-options

En effet, on ne le dira jamais assez : si les grands patrons se taillent des stock-options de lions, c’est la faute à ces râleurs de pauvres qui ont voulu leur piquer tous leur sous, avec cette infamie de fiscalité !

Enfin voyons, soyons sérieux ! Comment voulez-vous que nos bonnes petites start-up bien françaises de chez nous puissent « recruter des jeunes ou des dirigeants attirés par l’audace », si on ne leur promettait pas des millions !

ouaaaah le meeeec quel audaaaaace ! il a pris le riiiiisque de … s’en foutre plein les poches !!! *

Parce qu’attention ! Les stock options, ce n’est pas de l’argent volé ! … nan nan nan … C’est « de l’argent gagné » … mmm … un peu comme au loto ou au casino … c’est çà ? … ah non … … C’est parce que ces « compéteeeeences » là, c’est du « personnel indispensaaable » …  ??? … ah oui, bien sûr, pas comme les ouvriers qui font tourner les machines ou les cadres qui se font des noeuds au cerveau pour faire tourner la boutique. Tout çà, c’est du personnel pas très indispensable, çà… Sans compter que s’il s’agit de rémunérer une compétence, ça voudrait dire qu’en moyenne, un chef de gang du Cac40 vaut 200 (deux cent) fois plus qu’un salarié lambda ** … ben voyons …

« On a fait payer à la Bourse ce que les entreprises ne pouvaient pas prendre elles-mêmes en charges » ouu ben voui ! … voui, voui ! ca s’tient ! ‘faut bien que quelqu’un paye ! et comme on voit pas du tout pourquoi qu’ce s’rait les grosses entreprises qui payeraient leurs salariés, on n’a qu’à faire comme ça, c’est ces cons de petits porteurs .. euhh .. c’est la Bourse qui paye ! A la santé d’la Bourse, M’sieur, Dame !…

Bon, bon, d’accord. Il faut bien admettre, qu’il a quelques petits polissons qui ont un peu exagéré avec ces histoires de stock-options (oh les vilains petits coquins !). Mais bon, « Faut-il aussitôt légiférer pour répondre à l’émotion populaire ? » Non, tout de même ! Si on faisait des lois pour empécher les prédateurs de nuire, à chaque fois que les plus démunis gueulent parce qu’ils en ont marre de galérer pendant que d’autres profitent de la position dans laquelle l’Univers les a mis, pour se bâfrer à en avoir les dents du fond qui baignent, on aurait pas finiii !

Je ne vous parle même pas de ces cons de gauche qui veulent supprimer les stock-options. Ces cons ! c’est bien parce qu’il n’en ont pas, eux, des stocks-options ! … mmm … mouaich … Et ces cons de droite qui veulent les taxer !! Aaaarrrfff, aarf, aarf, aarf, aarf ! Mais puisque je vous dis qu’elles ont été créées pour détourner la fiscalité, vous croyez quand même pas qu’on va être assez cons pour les garder, si vous nous les taxez ! Aaaarrrfff, aarf, aarf, aarf, aarf … ouuuuuhh … arrêtez! … vous m’faites trop rire ! j’ai mal au veeentre ! …mmm … pardonnez-moi … je veux simplement dire qu’elles « disparaîtront le jour où elles seront surtaxées ».

A mon avis, le mieux pour calmer ces cons de pauvres, c’est tout simplement de leur dire qu’il faut attendre que l’Europe accouche d’une législation sur les stocks options. Comme çà, d’ici à ce que çà arrive, on est pénard pour se remplir les fouilles pendant encore un bon bout de temps ! « Ne serait-il pas plus judicieux de réclamer une fiscalité européenne sur les stock-options ? »

« On pourrait prévoir, par exemple, que ces titres ne puissent être cédés par leur détenteurs dirigeants qu’au moment de quitter l’entreprise » ouuuaaaaaa … ah ben ça ! ben ça ! Ça c’est une bonne idée, Joe ! … mais … mais … dis, Joe, j’comprends pas !?… Je croyais que les stock-options étaient une façon de motiver les dirigeants pour que par leur bonne gestion, ils fassent monter la valeur des actions de l’entreprise. Or en fait, une fois partis, ils peuvent garder leurs stocks ??? Déjà qu’attribuer le crédit de la montée d’une action au dirigeant de l’entreprise, c’est disons, faire preuve d’une cécité pour le moins opportune sur l’ensemble des autres paramètres qui interagissent pour déterminer une valeur boursière ***, mais alors quand il n’est même plus dans la boite, le mec, il fait comment pour les faire monter les actions? Moi, je vois que deux solutions : soit il fait de la concurrence déloyale à David Copperfield pour faire de la lévitation à distance, soit … il s’en met plein les fouilles grâce au boulot et à la compétence d‘autres que lui!

Tu te souviens de l’épisode de « Prison break où Dominic Purcell » (ouh oouuuuuuuuhhhh !!…mmm … pardon … ça m’a échappé) est avec la superbe mais complètement bargeot de Jodi Lyn O’Keefe. Dominic essaye de payer un gars pour qu’il accepte de faire un boulot qui permettra à son frère de s’évader. Et le gars demande de plus en plus de fric, jusqu’à ce que brusquement, la fille sorte son flingue et mette sans sommation, plusieurs balles dans la couenne du gars. Purcell s’émeut : « mais arrêêêête, on a besoin de luiii ! » et la fille de lui répondre « puisque tout ce qui l’intéresse c’est l’argent, il va juste nous en soutirer un max avant d’aller nous donner aux flics. On ne peut pas lui faire confiance pour faire le boulot. » …

Pourquoi je pense à cette histoire, moi, quand on me parle de ces « talents » qui ont besoin de la perspective d’empocher tant de fric pour commencer à imaginer d’envisager de projeter de penser à se mettre à … bosser ?

initialement publié le 31 janvier 2008 sur http://lavielesgens.over-blog.com/

* « […] ce qu’il faut retenir, c’est qu’avec les stocks options, on peut gagner beaucoup, mais on ne perd jamais. Si le cours de l’action baisse, on ne lève pas ces options, un point c’est tout. On n’a rien gagné, mais on n’a rien perdu non plus. Seul l’actionnaire normal est perdant en cas de baisse des cours. » Les goinfres. Enquête sur l’argent des grands patrons français. Patrick Bonazza, Flammarion, p. 76
Voila pour « la part de risque » que François d’Orcival voit attachée aux stocks options…

** « L’écart entre ce que touchent les grands patrons et ce que touche le salarié moyen c’est considérablement accru. Il était de 1 à 20 il y a vingt ans. Aujourd’hui il est de 1 à 200 ! En 2005, les PDG du CAC40 ont perçu en moyenne (stocks-options et autres avantages compris), 4,8 millions d’euros quand le salaire moyen s’établissait à 1850 euros brut (chiffres INSEE) […] Aujourd’hui, par exemple, diriger une entreprise dont le périmètre se rétrécit, qui perd de l’argent et dont la stratégie a du mal à convaincre, permet tout de même à son PDG de gagner 1,2 millions d’euros. » idem p. 70

*** Beaucoup d’éléments « polluent » le cours d’une action : la conjoncture, un choc politique, le cours du dollar, le prix du pétrole, le niveaux des taux d’intérêt… Jean-Marie Messier, un expert en la matière, a même démonté le principe des stocks, en 2003, devant une mission d’information de l’Assemblée, […] « A la vérité, je ne suis pas totalement certain que le principe des stock-options soit réellement sain […]. Ce peut être un jackpot énorme, sans que le dirigeant ait joué un rôle pour ce faire » idem p.78

Loups gentils et agneaux méchants

Point de vue

Soir de mai sur le quai de Loire. Je sors de la salle obscure, la tête remplie d’images, de couleurs pastels et le coeur ému par la justesse des acteurs et des dialogues que je viens de voir et d’entendre. Grâce à leur magie, c’est tout le savoir vivre, la sensualité et la mélancolie argentine qui ont surgit, l’espace de quelques heures, sur le grand écran blanc. De retour au nid, me voila en train de fureter sur la toile, histoire de prolonger l’émotion et de voir ce qu’il s’y dit du dernier film de la réalisatrice Lucía Cedrón « Agnus dei ».

Le telecineobsNouvel Obs évoque les blessures argentines qui n’ont jamais totalement cicatrisé, la nouvelle génération de cinéastes agnus_deiqui ressent le besoin de les exorciser et souligne la mise en scène d’une rare élégance et d’une grande sensibilité. agnus-dei-yahooYahoo publie une note de Lucía Cedrón où elle explique: « Agnus dei », l’agneau de dieu qui ôte les péchés du monde, c’est la rédemption, la vie après la mort, l’absolution, la possibilité de renaissance et de vie. Tout cela est très présent dans le film et c‘est sa problématique essentielle. A travers notamment la chanson que chante Guillermina : « il était une fois un monde à l’envers où les agneaux étaient méchants, et les loups gentils». Les apparences sont trompeuses ; selon les points de vue, les événements diffèrent.» Cette candeur mâtinée de bon sentiments, de mystique et de morale chrétienne sonne un peu comme une leçon rabâchée et effrite d’autant mon enthousiasme pour l’auteur d’un film dont le ton m’avait semblé si juste… Pourtant, histoire de retarder encore un peu le retour dans le réel, je continue à suivre ma souris fouineuse…

Tout à coup, je réalise que quelques phrases reviennent souvent. Presque toujours les mêmes, exactement, ou à peu de choses près : « Le père de la réalisatrice Lucia Cedron, était cinéaste également, et c’est lors d’un festival de cinéma indépendant à Buenos Aires, où elle participait pour un court métrage, qu’elle a vu une rétrospective consacré à celui-ci. Décédé 25 ans plus tôt dans des circonstances troubles, Agnus Dei lui rend hommage en rappelant les événements marquants propres à l’Argentine depuis 30 ans. »

« Décédé 25 ans plus tôt dans des circonstances troubles » … « dans des circonstances troubles » … « après le décès de son père dans des circonstances mystérieuses. » …

Au début des années 80, où, comment et pourquoi meure-t-on dans des « circonstances troubles ou mystérieuses » ? Dans une ruelle de Buenos-Aires en proie à la dictature ? A Ndjamena en pleine guerre civile ? A Hongkong, sous les coups de l’une ou l’autre mafia ? … Je laisse ma souris suivre la piste …

« Lucía Cedron » donnée en pâture à mon Big Brother préféré m’apprend tout d’abord que le film a été soutenu par le ministère français des affaires étrangères…

… tiens ?!?

Quelques clics plus tard, me voici sur le site www.africine.org.
« Les hommes politiques sont tous des abrutis » (sic) C’est Lucía qui le dit et africine qui en fait le titre de son entretien avec la cinéaste. L’expression ne fait pas dans la dentelle et frippe un peu l’élégance qu’on imagine à la réalisatrice, lorsque l’on voit son film, mais le mérite de l’article est de m’apprendre le prénom de son père « Jorge ».

« Jorge Cedron »
Big Brother me dit que 46 000 * pages web comportent ces deux mots.

agnus-dei-france-infoVoici celle de France Info, qui en deux minutes de chronique sur le film oublie complètement de parler de son inspiration autobiographique… 

Par les mots de Thomas Sotinel, Le Monde fait même de Lucía, la fille de Juan Cedrón ** !… Lapsus peut-être, regrettable, certainement ! Donc toujours pas un mot sur la mort de Jorge…

« Lucía Cedrón, dont on avait déjà remarqué les courts-métrages, nie faiblement la part fortement autobiographique de son premier long-métrage et emploie une belle formule pour dire qu’elle a mis du temps à accepter son héritage : « Pour tuer un père mort, il faut se lever de bonne heure. »
Après cette tournure bizarre au sujet de la part autobiographique du film (pourquoi Lucía aurait-elle à nier la part autobigraphique de son film ??), même Marianne oublie de dire où est mort Jorge Cedrón mais s’empresse de conclure sur l’identité des responsables de sa mort :
« En 1980, à Paris, où il avait fui la dictature, son père, le cinéaste militant Jorge Cedron, a été assassiné, sans doute par des agents de la police secrète, tandis que son grand-père était kidnappé. »

Et puis finalement, cet article publié par l’Humanité en 2003. Rien à voir avec la sortie du film de Lucía Cedrón. Il est plutôt question de celui de Marie-Monique Robin « Escadrons de la mort, l’école française » et de la « connexion française » en Amérique latine. « Dés le début, la France, qui a exporté durant les années soixante et soixante-dix ses méthodes de lutte anti-subversive, a eu vent de l’opération Condor, qui prévoyait sanctions et assassinats dans les pays d’accueil de réfugiés latino-américains. […] »
Vers la fin de l’article, on apprend que Jorge Cedrón a été retrouvé poignardé, dans les toilettes du quais des Orfèvres, à Paris. Il avait été amené là avec son épouse par un commissaire de la police française. L’arme se trouve dans la main droite du cadavre alors que Jorge Cedrón était gaucher. L’enquête conclut à un suicide.

???!????

Puisque c’est comme ça, on va poser la question plus clairement:

« Jorge Cedron orfevres »
Big Brother trouve 41 pages ***

Film ou pas film, sur le net, pas grand monde ne dit où est mort Jorge Cedrón… Pourtant, sur le site de l’association Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, un document intitulé « Argentine 1976-2007 – Le chemin sinueux de la lutte contre l’impunité » reprend les informations contenues dans l’article de l’Humanité: Jorge Cedrón a été « retrouvé poignardé dans les toilettes du Quai des Orfèvres. Ce crime n’a jamais été élucidé. La police a conclu à un suicide. »

« Les apparences sont trompeuses ; selon les points de vue, les événements diffèrent. »
En effet … et puis chacun fait ce qu’il veut !
Chabrol par exemple, a bien utilisé le procès Elf pour nous pondre un nième film autour du personnage de femme gravement névrosée qui semble lui trotter obstinément dans la tête. Une paire de gant, un tailleur rouge et le voila parti pour nous refaire le coup de son délire obsessionnel, en le plaquant sur le personnage de la juge d’instruction. Un scandale institutionnel et moral réduit à une banale lutte de pouvoir entre des personnages fantasmés par un réalisateur qui choisi de ne retenir que des détails insignifiants (comme ces allusions pôtaches aux noms des protagonistes: Jeanne Charmant pour la juge d’instruction Eva Joly …), bref, juste de quoi profiter des échos médiatiques de l’affaire (est-ce que vous avez lu un seul article au sujet du film, qui ne mentionne pas aussi l’affaire ?) sans rien en dire véritablement, sans rien expliquer, sans rien mettre en lumière. Et ce culot de mettre au générique « Toute ressemblance avec des faits réels et des personnages connus serait, comme on dit, fortuite… »
Sept années d’enquêtes qui ont menées à la mise au jour d’un système pensé au plus haut niveau d’un état – la France – pour déposséder des peuples de la richesse du sous-sol de leur pays, au profit d’une minorité. Des pressions psychologiques et physiques à la hauteur des enjeux financiers et diplomatiques colossaux que cette affaire mettait en balance, et le tout se trouve dissout dans les fantasme d’un réalisateur qui projète des lieux communs sur le personnage de la juge ( « le pouvoir qu’elle incarne la grise »), juste pour le plaisir de lui faire la leçon. « Pour moi, l’idéal était qu’à la fin du film, les deux personnages aient pitié l’un de l’autre. C’est à ce moment-là qu’elle comprend l’inanité de toute l’affaire, tandis que lui l’a compris par la force des choses, en prenant des coups de bâton sur la tête. Elle prend conscience du fait que le pouvoir est à coulisses et qu’il en reste toujours assez au-dessus du personnage le plus puissant qui soit… » [ref]
En effet ! Quel impardonnable péché de vanité d’avoir cru à la capacité de la justice (qu’ elle représentait) de s’attaquer à un tel système de pillage ! Alors qu’on ne peut que s’extasier de l’intelligence de ce pauvre garçon, qu’on plaindrait presque d’avoir pris tous ces mauvais coups de baton! Après tout, il n’avait eut lui, que la bonne idée de piquer dans la caisse de ce système inique. Lui au moins, il a comprise tout de suite l’inanité de toute l’affaire ****

Chacun fait ce qu’il veut… Chacun comprend ce qu’il peut…

« […] un pays ne peut avancer tant qu’il n’a pas regardé son passé en face. Tel est le message, simple et fort, que Lucía Cedrón glisse dans son premier film.  » C’est l’avis de la critique de Télérama qui ne peut s’empêcher d’ajouter sur le ton catégorique de ceux qui savent  « Maladroit quand elle le martèle, avec des séquences inutiles sacrifiant au pathos ». (Une critique de Télérama, quoi …)
Puisqu’il semble si bien informés sur la question, Télérama ***** nous expliquera sans doute bientôt, comment la France est susceptible d’avancer, si à la sortie d’un film comme « Agnus Dei » personne ne dit que Jorge Cedrón, le père de la réalisatrice est mort poignardé dans les bâtiments de la Direction régionale de la police judiciaire de la Préfecture de police de Paris. Parce qu’il semble bien que ce soit un fait. Aussi absurde et insupportable soit-il.

Pour ma part, je ne suis pas sûre que par son film, Lucía Cedrón ait voulu donner de grandes leçons aux pays!… Le scénario et la mise en scène sont bien trop intimistes pour cela. Par contre, ils montrent très explicitement, les choix absurdes et les conséquences dramatiques, auxquels sont confrontés des individus normaux pris dans la violence. Les hommes politiques ne sont pas « tous des abrutis », la plupart sont simplement des individus normaux, comme les personnages du film de Lucía. Lorsqu’ils se retrouvent dans des situations absurdes, ils ne prennent pas nécessairement des décisions idéales. Comme dit l’un des personnages du film « mets toi à [leurs] place 5 mn ». Est-ce qu’il y a un sens même, à parler de « décision idéale », lorsqu’il s’agit de situations aussi absurdes de violence?
Gérer des relations d’Etat  avec une dictature n’est certainement pas une ciné cure, mais est-ce que le minimum n’est pas de reconnaître au moins les faits ? De qui se moque-t-on avec ces dénis de réalité qui soutiennent l’image d’un État français innocent comme l’agneau qui vient de naître?

Lorsque qu’elle évoque elle-même la problématique du film, Lucía Cedrón parle de la question du pardon et de l’oubli. Mais pour pardonner et oublier, est-ce qu’il ne faut pas d’abord savoir ?
Que Lucía ne souhaite pas ou ne souhaite plus savoir est un choix personnel qui lui appartient. Qu’elle souhaite sortir d’une identité forcée de « fille de martyre » est compréhensible, mais j’aimerais être sûre que son embarras à évoquer la part autobiographique du film n’est lié qu’à ses souvenirs douloureux et que son insistance à parler de pardon et d’oubli, sans mentionner la mort de son père n’a rien à voir avec le « soutien » qu’elle a reçu du ministère français des Affaires Étrangères…

Le monde où les agneaux peuvent être méchants et les loups gentils n’est pas un monde à l’envers. C’est le monde dans lequel nous vivons.

initialement publié le 2 juillet 2008 sur http://lavielesgens.over-blog.com/

* Les chiffres indiqués sont ceux observés aux alentours du 10 mai 08.

** Juan Cedrón est un musicien argentin vivant en France depuis plus de 30 ans. Il est co-fondateur en 1964 du trio Cedrón qui deviendra en 1969 le quarteto Cedrón et connait une certaine notoriété en France. Juan Cedrón dirige actuellement un orchestre dédié à la musique de bal (« La tipica » ) reconnu par certains média mais qui ne fait pas l’unanimité dans les milieux tangeros. Jorge était son frère.

*** A la date où ce billet est publié (initialement, en juillet 2008), « Jorge Cedrón orfevres » retourne 185 pages: le film est maintenant référencés sur les sites de cinéphiles et vient ainsi en cooccurrence avec « 36 quai des Orfèvres » d’Olivier Marchal…

A la date de republication (novembre 2016), on trouve une centaine de résultats pour cette requête et les premiers liens retournés concernent la mort de Jorge Cedrón. La première page des résultats explique le contexte: Jorge Cedrón était quai des Orfèvres pour accompagner sa femme, dont le père, Montero Ruiz, ancien maire de Buenos Aires et proche des militaires venait d’être enlevé à Paris. L’article présente les différentes hypothèses qui coexistent concernant la mort de Jorge et se conclut par « Au jour d’aujourd’hui, le seul fait avéré est que Jorge Cedrón est mort à la Préfecture de Police de Paris. »…
Mais il y est dit aussi « La Préfecture de Police de Paris ne semble pas, à première vue, le lieu le plus indiqué ni pour un suicide, ni pour un assassinat politique. Sauf si, s’agissant d’un assassinat, les auteurs du crime avaient délibérément voulu impliquer la France et agiter le fantôme du « scandale » comme garantie de protection. Sauf si, autre hypothèse, ce crime n’avait pas été programmé » … Julia Cedrón est citée au sujet de la mort de son père, dans un article consacré au procès de cinq tortionnaires de la dictature argentine qui a eu lieu en décembre 2009. Elle y déclare « Tout ce que je sais, c’est que ce dossier a toujours été plus ou moins secret, que je n’ai jamais pu lire le rapport d’autopsie et que quand un avocat a pu mettre la main dessus, il était illisible parce que soi-disant le local des archives avait été inondé ».

Il va certainement être difficile de savoir comment un exilé de la dictature argentine a pu être mortellement blessé dans les locaux de la Préfecture de Police de Paris, le 1er juin 1980. Il semble au moins qu’aujourd’hui, le sujet ne soit plus complètement tabou. C’est un début …

**** Pour bien mesurer l’inanité de toute l’affaire:
  • « Notre affaire à tous », Eva Joly, Les Arènes, 2000
  • « La force qui nous manque », Eva Joly, Les Arènes, 2007
  • Interview (vidéo) d’Eva Joly, juin 2007
  • « Elf, la pompe à fric », Nicolas Lambert, Tribord, 2005. Surtout ne pas manquer le spectacle dont la publication n’est qu’une transcription (extraits du DVD)

***** Si Télérama oublie parfois la politique, il faut noter qu’il est (à ma connaissance) le seul média national ayant publié un article en soutien à Denis Robert, alors qu’il vient d’annoncer qu’il renonce à parler publiquement de Clearstream. Télérama n’est donc pas simplement un loup méchant, qui prend de haut les auteurs qui n’ont pas émus ses critiques… pff … c’est pénible, à la fin ! cette complexité de la réalité …

Désillusions en Chine

Point de vue

Pékin, le 28 août 95

Bonjour Tous!

Comme je vous l’indiquais dans les lettres aux grand-mères, une quinzaine de jours avant de quitter Xian, j’ai été envoyée une dernière fois faire de la promotion dans le sud du Shaanxi. J’ai en fait eu pas mal de temps de libre, j’en ai donc profité pour commencer à rédiger une lettre pour vous. J’ai gribouillé des pages et des pages, en rouge, en vert, en noir suivant le stylo qui me tombait sous la main. J’y ai ajouté des flèches, des astérIX renvoyant à des crochets … bref, c’est devenu un sacré micmac que je comptais mettre en ordre en rentrant à Xian. Mais entre les préparatifs de départ, les adieux, la visite du boss français (Monsieur C.) etc…, je n’en ai pas eu le temps. Je sais bien que vous vous posez beaucoup de questions sur la façon dont je me suis retrouvée à Pékin et la vie que j’y mène actuellement, mais comme j’ai déjà une lettre quasiment prête, je préfère vous envoyer d’abord le premier épisode au sujet de mes sept mois de séjour à Xian. Je pense que je m’arrêterai même avant la fin de cet épisode car il s’y est passé tellement de chose lors de la dernière semaine que pour la raconter il me faudrait six ou sept pages minimum! Idem pour les quelques temps que je viens de passer à Pékin, mais à ce sujet, vous avez déjà reçu quelques nouvelles par fax, pour plus de détails, on verra plus tard.

Même si je reconnais que c’est très impersonnel, j’ai pris le parti de vous écrire par ordinateur parce que mes lettres manuscrites finissent toujours en forme de torchon, certainement très difficile à lire, surtout pour mes grands-mères.

Pour commencer, je vais répondre à une question que vous m’avez posée: qu’est-ce que je fichais de mes journée, quand je n’étais pas dans les magasins pour appâter les clients? Réponse: pas grand’ chose. En tout cas pas grand-chose qui ait un intérêt phénoménal pour la boite. Il m’est arrivé de faire quelques traductions. Au bout de quelques semaines, j’ai en effet fait clairement savoir que la vente en magasin ne m’emballait guère. S’il fallait de temps en temps faire une opération de promotion, ma foi je n’en mourrai pas, mais je préférais de loin faire autre chose. (D’après ce qu’on m’avait laissé entendre M. Li – l’intermédiaire de Paris, les opérations de promotion en magasin devaient rester occasionnelles.) Je me suis donc proposée pour faire par exemple des traductions, ce à quoi il m’a été répondu qu’il n’y avait aucun problème puisque de nombreux documents mériterais d’être disponibles en plusieurs langues. Pourtant, après avoir réaliser l’unique traduction qu’on m’avait demandée, je me suis à nouveau retrouvée devant mes bouteilles de shampooing. J’ai laissé passer quelques temps avant de revenir à la charge, il m’a alors été répondu que ce n’était qu’une question de quelques semaines. Dès que le produit serait lancé, je pourrai me consacrer à autre chose. Pour mieux me convaincre de sa soi-disant sincérité, le PDG m’a même demandé de faire une traduction mais il ne m’en a jamais réclamé le résultat. En d’autres termes, il s’agissait vraiment juste de me faire plaisir!

Un jour que je refusais de tourner une pub (entre autre parce qu’il s’agissait de débiter une série de pieux mensonges), on m’a affirmé que lorsque le spot serait diffusé, il me représenterait, en quelque sorte, et que je serai ainsi dispensée d’aller dans les magasins. Pourtant, le texte une fois épuré et la pub tournée, je me suis encore retrouvée devant mes bouteilles de shampooing. Quand il m’a annoncé qu’une deuxième française devait venir, C. W. (le boss) m’a dit qu’elle serait affectée à la vente et que je m’en tiendrai à mon rôle d’ « assistante du PDG ». Ben voyons… Du coup, c’est l’assistante du PDG en personne qui s’est retrouvée devant ses bouteilles!…

Certains chinois prétendent que c’est une forme de politesse chinoise que de ne pas refuser directement quelque chose. Je pense qu’il s’agit surtout d’un prétexte facile pour se défiler. Dire oui quand il est inconfortable de dire non puis agir ensuite sans tenir compte de ses paroles, moi j’appelle ça se foutre du monde! Et j’aime pas qu’on se foute de moi.

Il faut ajouter à cela que je me suis rendue compte petit à petit qu’on ne se foutais pas seulement de moi, mais aussi du client. Au début, je ne savais pas trop quoi penser de la qualité de notre camelote. Certes, elle ne me convenait pas, mais les standards de beauté étant différents ici, il était plausible que les chinois l’apprécie (je trouvais que le shampooing laissait les cheveux gras, or les chinois ont l’habitude d’appliquer toutes sortes de mousses justement pour donner un aspect luisant aux cheveux). J’avais été conforté dans cette idée après avoir essayé une autre marque très en vogue mais qui ne me satisfaisait pas non plus. Cependant, même si je n’avais jamais l’occasion d’avoir des contacts avec les ingénieurs qui s’occupaient de la composition de notre produit, quelques petites visites dans l’usine et une simple extrapolation du manque de soin avec lequel absolument tout était fait dans la boite m’ont quand même fait douter de la qualité du produit. Les réactions de certains clients, voire de certains membres de la société me confirmaient plutôt cette version. D’autant plus qu’il n’y avait pas besoin d’être agrégé de chimie pour se rendre compte que la mixture en question n’avait de « naturel  » que le nom et s’il existait un shampooing miracle capable « d’empêcher les cheveux de faire des fourches et de tomber », je crois que ça se saurait! En fait, les propriétés du shampooing ont été établies en même temps que l’argument de vente, c’est à dire au fur et à mesure que l’expérience apprenait aux commerciaux les désirs des clients: « Vos cheveux sont gras, Madame? Mais pas de problème, ce shampooing est spécialement étudié pour les cheveux gras. » « Et vous, Mademoiselle, vos cheveux sont très sec [Tu m’étonne! Pas difficile à deviner, vu le climat de Xian!] Et bien justement, ce shampooing nourrissant vous conviendra tout particulièrement » Et pour peu qu’un autre client demande un shampooing antipelliculaire (sans doute parce qu’il a été assommé par les pub des marques concurrentes qui ont réussit à faire des pellicules un délit passible du tribunal de grande instance), notre mixture caméléon devient aussitôt le must en la matière. Si le client s’étonne que ce ne soit pas précisé sur l’emballage, il lui sera répondu qu’il est écrit que le shampooing est nourrissant et que l’un des éléments nutritifs élimine les pellicules (sic). C’est là que j’ai compris pourquoi P. a essayé 150 shampooing « antipelliculaires », sans résultats!…

Je pense qu’avec ces quelques exemples (et Dieu sais que je pourrais vous en donner d’autres), vous vous êtes déjà fait une petite idée de la politique de la maison. Il est sans doute vrai que ce type de comportement est commun à tout les commerçants, mais je crois que c’est particulièrement vrai pour le commerce des produits de « luxe ». Je devrais même dire qu’il est basé sur ces pratiques: qu’est-ce qu’un produit de luxe? C’est tout simplement un produit qu’on réussit à vendre beaucoup plus cher que sa valeur grâce à un baratin bien ficelé. Le pire est que cette définition n’est pas établie uniquement par le marchant, mais que les clients friands de ce type de produits acceptent cette règle du jeu et du coup l’encouragent. J’ai compris que la notion de luxe n’était absolument pas liée à des critères de qualité lorsque j’ai vu les filles des nouveaux riches chinois acheter des bijoux de pacotille dans des boutiques de luxe alors qu’elles pouvaient trouver exactement les mêmes 10, 20 voire 50 fois moins cher sur les marchés de rue. Elles paient cette différence de prix simplement pour une image, un style, pour avoir un collier emballé dans un joli papier transparents (qui ne durera pas cinq minutes avant de passer à la poubelle) ou pour une étiquette en anglais et des présentoirs comme ceux qu’elles ont vu dans les films américains. Il ne s’agit là que d’un exemple mais il y en aurait des dizaines d’autres. Et pas seulement en Chine, d’ailleurs: en y réfléchissant, je me suis aperçue que nous faisons exactement pareil.

Puisque nous acceptons de payer pour du rêve en conserve, doit-on blâmer les commerçants de nous les proposer?

Pour ce qui est du marché des shampooings en Chine, ils poussent peut-être quand même le bouchon un peu loin. Lors de son récent passage, le boss de la partie française a déclaré simplement au cours d’une conversation avec C. W. que l’ensemble des marques qui sont classée dans la catégorie des shampooings de luxe en Chine ne sont en fait que des milieu de gamme comparés aux produits occidentaux. En d’autre terme ici tout le monde fabrique de la camelote, en se gargarisant pour se donner des airs prestigieux et comme il n’y a pas véritablement de produit de qualité, le client ne s’en rend pas compte puisqu’il n’a aucun élément de comparaison! J’ai ainsi été définitivement fixée sur la qualité de notre produit.

C’est aussi lors de la visite de Monsieur C. que j’ai appris que le projet initial (celui pour lequel ils étaient censés s’être mis d’accord lors des négociations de 94) était de fabriquer du shampooing moyenne gamme, c’est à dire avec production à grande échelle. Lorsque les français sont venus inaugurer l’usine au début de l’année, ils ont appris que les chinois avaient modifié la stratégie et s’apprêtaient à attaquer le créneaux haut de gamme. Forcement, au niveau de la pub et de tout ce qu’ils appellent le « marketing », ça changeait légèrement les données. A vrai dire, tout le projet d’investissement aurait du être monté différemment s’il avait été question de faire un produit de luxe (inutile d’avoir une chaîne prévue pour la production en grande quantité si on fabrique un produit qui se vend par définition en petite quantité. Par contre, comme il est cher, il faut prévoir un gros budget pour faire de la pub.) Les chinois ont justifié ce revirement en prétextant que le marché du moyenne gamme est saturé et qu’en s’appuyant sur l’image de la France, il valait mieux aborder le haut de gamme. C’est un peu vrai, mais
1. connaissant la personnalité du big boss de Xian, je ne serais pas surprise qu’il ait surtout voulu satisfaire sa folie des grandeurs.
2. si c’était un projet de cosmétiques de luxe qu’il voulait monter, il fallait le dire dès le début!
Maintenant que les résultats montrent que le choix était mauvais (en tout cas pour que les ventes soient tellement plus basses que les prévisions, c’est forcement qu’il y a eu un problème quelque part!), le boss français joue les offusqué en se disant trahi. Lorsqu’il a pris connaissance de ce changement lors de sa visite en janvier, il a piqué une crise (il parait que la réunion a été houleuse!) mais, sans doute bien obligé, il a laissé faire. Idem cette fois-ci, d’ailleurs. (D’après ce que Christine, la nouvelle recrue m’a raconté parce que pour ma part, j’ai saisi tout les prétextes que mon départ imminent me fournissait pour ne pas assister à leurs entrevues. Comme j’aurais été bien en peine de dire lequel des deux avait le moins de tort, j’ai préféré les laisser se bouffer le nez entre eux!). A l’issue de cette visite, un accord a simplement été signé pour réduire les livraisons de matières premières qui s’accumulaient dans tous les recoins de l’usine: la cour, le hangar à vélo, même le réfectoire à été condamné pendant un moment à cause de cela!

A mon avis si les négociations ont tourné au quiproquo, c’est sans doute au moins en partie à cause du niveau très moyen de l’interprète que Monsieur C. a utilisé depuis le début. Il est tout a fait conscient du problème puisqu’il ne cesse de lui lancer des piques sur la façon dont il « interprète  (c’est a dire qu’il ajoute systématiquement sa propre opinion à ce qui se dit!). Comme en plus il lui manque visiblement un certain vocabulaire technique ou financier indispensable pour ce type d’entretien, le résultat ne pouvait être satisfaisant, mais ce sont sans doute là des détails pratiques sur lesquels un Môsieur sorti de Sciences Po (comme il le précise, que tu le lui demande ou non!) ne s’attarde pas. Les belles théories assorties de toute une flopée de mot savant qu’il a appris dans cette IL’Lustre institut lui semble visiblement suffisantes pour réussir…

Durant ces quelques derniers jours, j’ai trouvé l’explication de bien des aberrations et autres contresens auxquels je m’étais heurtée pendant toute la durée de mon séjour. Le fait que je n’apprenne qu’à ce moment là certaines choses qui avaient pourtant des conséquences directes sur mon travail montre que d’un coté comme de l’autre, les deux boss ne m’ont jamais prise au sérieux. Or je suis persuadée que même sans connaissances théoriques des techniques de commerce, ma position très particulière aurait pu me permettre de faire avancer les choses. En France, sans avoir jamais fait d’école de commerce, il y a beaucoup de choses que l’on connaît sur le comportement des consommateurs dans une économie de marché, tout simplement parce que nous sommes des consommateurs de ce type depuis le berceau, et ça depuis plusieurs générations. Il y a bien longtemps que tu ne peux pas sortir de chez toi sans être agressé par les affiches publicitaires, les opérations promotionnelles dans les grandes surfaces ou les foires, etc… Les représentants viennent même te débusquer chez toi. Sans compter la TV et les prospectus dans la boite au lettre. En Chine au contraire, certains spot publicitaires n’ont pas encore dépassé le stade de « réclame » (genre « Le boudin DURANT, c’est EXCELLENT! »), les panneaux publicitaires sont peints à la main (souvent dans un style très … je crois qu’on dit « pompier », c’est-à-dire genre les affiches de propagande maoïste), la pub dans la boite au lettre n’existe pas et les opérations de promotions dans les grands magasins ou la distribution de prospectus dans la rue ne sont apparus pour la première fois que l’année dernière! Aucun des commerciaux de Lily Cosmetics n’a été formé pour le travail qu’ils effectuent. La plupart sont d’anciens prof ou des jeunes fraîchement sorti d’une école (sans aucun rapport avec le commerce) En l’absence de possibilité de formation continue, leur politique est d’apprendre sur le tas, c’est pourquoi je trouve qu’ils ont eu tord de ne pas profiter des connaissances que nous pouvions leur apporter (Pour cela, Christine est encore mieux placée que moi puisqu’elle à une formation marketing, mais ils ne lui ont rien demandé non plus! Résultat, elle m’a dit aujourd’hui au téléphone qu’elle avait annoncé sa démission.)

Pour la partie française, l’intérêt d’avoir quelqu’un sur place en permanence pour voir comment se passent les choses au jour le jour, me semble évident. Il est vrai qu’au départ, j’étais très handicapée par les problèmes de langue, mais si on s’était donné la peine de s’y attarder un peu, il y avait des foules de solutions possibles pour le résoudre. Par exemple, après l’un de mes premiers déplacements (alors que j’étais encore assez motivée pour faire du zèle), j’ai décidé de leur rédiger une sorte de rapport où je faisais le point de ce qui me semblait clocher. Une jeune fille qui travaillait alors avec moi et partageait mon point de vue m’a aidée à le rédiger en chinois. Si nous avions pu continuer à travailler ensemble, je suis persuadée que nous aurions pu faire quelque chose de constructif. En tout cas, je me flatte de croire que j’ai tout de même certaines capacités qui même s’il avait fallu chercher un peu aurait permis de me trouver une tâche plus utile qu’un simple le rôle de figuration!

Le plus absurde, c’est que l’efficacité du procédé qui consiste à envoyer une française dans les magasins pour vendre la camelote reste à prouver, car si les clients surpris de voir une étrangère derrière le comptoir s’approche pour savoir de quoi il s’agit, cela ne signifie pas pour autant qu’ils vont acheter. On peut même imaginer, qu’aux yeux des plus cultivés, l’utilisation d’un tel procédé de « racolage » aurait plutôt tendance à trahir la mauvaise qualité du produit.

D’ailleurs, ce rôle de figuration ne trompait pas grand monde: n’importe qui depuis les vendeuses de grand magasins jusqu’aux responsables à qui j’ai été présenté comprenaient immédiatement que je n’avais aucune responsabilité dans l’affaire. Je me suis efforcée de faire comprendre qu’une telle situation ne pouvait que discréditer la société, mais en vain. Le boss tenait visiblement à ses mascottes, certainement parce que c’est quelqu’un qui ne jure que par les relations et les apparences.

Lorsque Monsieur Li m’a présenté la situation (en toute bonne fois d’après ce que j’ai pu constater lors de son passage en avril ). Il m’expliquait que le but de ma présence serait de prouver le sérieux de la société. En gros, il s’agissait de représenter la France (!) pour montrer qu’il s’agissait d’une véritable société mixte. [A ce propos, vous vous plaignez que j’appelle ces sociétés des « joint-venture ». En fait, vous devriez vous estimer heureux: ici, au PEE, ils appellent ça des « givé ». J.V… J’ai mis un certain temps à comprendre! Pour ce qui est de « PEE » (prononcer « pé’eu »), mettez vous une bonne fois pour toute dans la tête que ça signifie Poste d’Expansion Economique, ça m’évitera de vous le récrire à chaque fois (c’est vachement long! Ça fatigue…)] Pour en revenir à mes aventures Xianesques, je trouvais que le principe de m’envoyer dans cette … JV (c’est la loi du moindre effort!…;)…) pour prouvez l’existence d’une certaine participation française était tout à fait justifiable. Et puis petit à petit, je me suis rendu compte qu’elle était toute relative: le responsable de la boite française vient voir deux fois par an comment se passent les choses, mais tous le reste est géré (ou plutôt non-géré…) par les chinois. Et quand je dis boite française, il faut comprendre boite implantée à Paris, parce que j’ai appris que le PDG est en fait de nationalité tunisienne!!…. Je me suis alors dit « après tout peu importe, je ne suis pas particulièrement nationaliste et encore moins raciste, je me contenterai d’être garante du sérieux qui est accordé à priori aux entreprises étrangères ». Et puis j’ai fini par être obligée de me rendre à l’évidence: toute notion de sérieux ou de scrupule faisait totalement défaut dans cette boite. Et je ne vous ai même pas parlé de la corruption en argent, en cadeau ou en invitations qui était utilisée pour obtenir toutes sortes d’autorisations ou de faveurs. (Il est vrai que le problème de la corruption en Chine est une question complexe qu’on ne peut sans doute pas résoudre à coup de grands principes moralistes, mais je crois que ce n’est pas le genre de débat qui empêchent très souvent C. W. de dormir…) Bref, étant donné tous ces bobards qu’ils se sentaient toujours obligés de raconter, je finissais par avoir honte de la confiance qu’on me donnait à priori. (Il y avait tout de même des clients qui achetait en disant « Si elle est là, c’est certainement très bien. »).

Dans ces conditions, j’ai bien songé à partir, mais dans ce cas, c’est moi qui aurait rompu le contrat et qui aurait du en subir les conséquences (restitution du billet d’avion,…) D’autre part, j’estime que ce séjour a malgré tout été profitable car il a été très formateur. J’ai donc décidé d’attendre le premier août libérateur. Je n’avais pourtant pas l’intention de m’associer aussi longtemps à cette fumisterie. J’ai donc entamé une sorte de grève du zèle – environ au mois de mai, lorsque la situation est devenue à peu près claire pour moi, elle s’est durcie à mesure que le temps passait, mettant ma patience à l’épreuve. A la fin, je me contentais d’une présence passive quand il s’avérait impossible de me défiler. La situation n’était pourtant pas si simple car je ne pouvais pas mettre tous les gens de la boite dans le même sac que C. W. Certains commerciaux, par exemple ne ménageaient pas leur peine pour faire décoller les ventes. J’avais donc des scrupules à anéantir leurs efforts par mon manque de coopération mais je n’arrivais pas non plus à me résoudre à les suivre dans ce qui finissait par s’appeler de l’arnaque.

Lorsque j’étais à Hanzhong, le commercial qui m’accompagnait m’a un jour confié sur le chemin du grand magasin où nous allions faire une opération de promotion qu’il avait une fois utilisé le shampooing comme gel douche, ce qui lui avait laissé l’impression (je cite) « de s’être frotté le corps avec du lard gras »!! Il concluait en disant que cette série de shampooing ne valait rien. Moins de cinq minute plus tard, il n’en vantait pas moins les mérite avec conviction à une cliente et c’est sans doute l’un de ceux qui se décarcassait le plus pour essayer de vendre la camelote dans les districts dont il était responsable. J’ai beaucoup réfléchi pour essayer de comprendre pourquoi il continue à travailler, bien qu’il soit conscient des problèmes de la boite et qu’il ne soit plus ou difficilement remboursé de ses frais (il doit faire de fréquents déplacements et engager de nombreux frais pour les opérations de promotion). C’était peut-être en partie pour prouver ce dont il est capable, mais je pense aussi qu’il se sent obligé de se dévouer pour son « unité de travail * » et pour son supérieur, comme l’exige la tradition chinoise. (Je crois que les chinois ont mal accepté que je refuse de faire quelque chose en me référant à mes propres critères de jugement. Je pense qu’ils s’attendaient à ce que je suive le patron sans broncher jusqu’à ce que je parte.) Ce type d’attachement se double parfois (comme dans le cas du commercial dont je viens de parler) de la nécessité de respecter une relation qui date de d’enfance avec le PDG de la boite. Il est vrai aussi que c’est l’un de ceux qui ont poussé cette forme de loyauté le plus loin. Tous les responsables et les employés capables sont déjà partis ou sur le point de le faire. Mise à part une espèce d’arriviste, faux comme c’est pas permis et qui reste parce qu’à force de ruse il a réussi à devenir le vice président officieux. Le vice PDG en titre est officiellement en congé de maladie longue durée. En fait, il a monté une autre boite, mais il donne ce prétexte pour éviter que l’annonce de son départ ne fasse mauvais effet sur son ancienne « unité de travail ». Et cela, bien qu’il se soit engueulé avec le boss avant de partir !!!

L’ambiance de la boite à bien changé depuis les premières semaines après l’inauguration. Il régnait alors un enthousiasme proche de l’euphorisme. L’ensemble du personnel s’affairait dans tous les sens. Pas forcement avec une grande efficacité, mais tout le monde avait l’air très enthousiaste et optimiste. Le boss puisait largement dans les prêts de la banque pour inviter tous les fonctionnaires et autres responsables locaux qui pouvait lui être d’une utilité quelconque. Il ne ratait jamais un occasion de jouer les PDG super occupé en se plaignant de ne pas pouvoir dormir suffisamment, mais ses occupations principales était d’emmener ces messieurs dîner et s’amuser! Et il était visiblement très fier d’être continuellement en si bonne compagnie. Le malheur, c’est que j’étais souvent obligée de l’accompagner. Pour ce qui est des banquets j’aurais encore pu me faire une raison (bien qu’à ce régime, j’avais pris plusieurs kilos…), le problème c’était les séances de karaoké. Il s’agit de bars où l’on boit le plus souvent du thé ou du Coca, parfois de la bière mais rarement des alcools plus forts (le repas qui précède étant copieusement arrosé d’alcool à 90°, ce n’est plus nécessaire!) Ils sont équipé d’écrans TV branchés à deux micros pour permettre aux clients de chanter accompagné par une cassette vidéo. Les paroles s’affichent sur le bas de l’écran pour aider la starlette en herbe ou le crooner imaginaire (c’est souvent le moins qu’on puisse dire!). Le Karaoké est l’activité nocturne préférée des chinois « à la mode ». Elle faisait immanquablement suite à nos « repas d’affaire » (comprendre repas de « relations publiques »). Moi, du fond de mon fauteuil, tout en grignotant des graines de pastèques ou des bananes séchées, j’ai bien failli m’étouffer plusieurs fois de rire en voyant des directeurs de banque et autres hauts responsables politique brailler des chansons d’amour à l’eau de rose sur fond de clip avec jeune fille en larme, flou artistique et ralentis pathétiques! En France, même une fille en pleine crise d’adolescence trouverait ça ridicule. (Ceci dit, il parait que le principe du karaoké commence à prendre à Paris!). En ce qui me concerne, je n’ai toujours pas compris l’intérêt que l’on peut trouver à lutter contre les décibels pour répondre toujours aux mêmes questions, toujours suivies des mêmes compliments, version standardisée et polie. Sans compter qu’il fallait aussi danser, pour qu’ensuite, lorsqu’ils sont invités par d’autres entrepreneurs également soucieux des intérêts de leurs affaires, ses messieurs les responsables puissent raconter qu’ils ont dansé avec une française (si on peut appeler danser ces dandinements de lourdaud!)

Je n’ai donc rien regretté lorsque ces soirées sont devenues assez occasionnelles. Par contre, c’était très triste de voir se détériorer l’ambiance et l’entente enthousiaste qui régnaient aux débuts. Témoins des erreurs de gestion ou devenu carrément opposés à la politique du boss, dans tous les cas sous-payés (alors que les sociétés mixtes ont la réputation de bien rémunérer leurs employés, les ouvrier de Lily ne recevaient que 10 yuans de plus que le salaire minimal imposé par la loi, ce qui représente à peine un peu plus de 100 FF) de nombreux employés sont partis. Comme le recrutement se fait neuf fois sur dix par copinage (c’est ce qu’on appelle les « guanxi »** ), on engage la sœur d’un journaliste bienveillant, la cousine d’un copain, etc.. autant dire que les critères de sélection ne font rien pour améliorer le niveau ambiant de compétence.

Il en a résulté une démotivation grandissante: à quoi bon s’exténuer au travail si le manque d’organisation annihile tous vos efforts et si d’autres se contentent de profiter de leurs relations pour empocher un salaire en se fatiguant le moins possible? Les quelques rares combattants qui subsistent essayent désespérément de maintenir le cap alors que les vents soufflent dans tous les sens, que le courant est contraire et que le carburant commence à manquer. Je veux dire par là que l’organisation est telle que les efforts des uns annulent ceux des autres, que les conditions dans lesquelles la boite à été monté (cf tout ce qui précède) ne sont pas favorables et que lorsque je suis partie, il commençait à y avoir de sérieux problèmes d’argent: conformément au contrat, la partie française continue à envoyer les matières premières qu’il faut donc payer, en plus des frais de fonctionnement et de promotion, or les ventes ne décollent pas et la banque se fait apparemment prier (Comme quoi les différents déplacements d’agrément que le boss à payé au responsable des prêts n’ont pas servi à grand chose. Y’a quand même une justice!)

Voilà, c’était « Vie et mort d’une société à Xian ». Je n’ai malheureusement pas vécu la période « prénatale », lorsque les premiers employés travaillaient encore dans un hôtel pour régler les formalités nécessaires à la fondation de l’entreprise et à la construction des bâtiments, puis pour la préparation de la cérémonie d’inauguration. J’en ai pourtant souvent entendu parler comme d’un « âge d’or » dont il reste le souvenir d’une bonne entente, de ces quelques jours passés dans les montagnes pour travailler à l’abri de la chaleur étouffante de Xian,… J’ai ensuite assisté à la naissance du bébé (ce glacial matin de janvier) puis je l’ai vu vivre quelques mois. Je ne la verrai pas mourir, mais je l’ai laissé très malade et je n’ai pas beaucoup d’espoir. Pourtant, en ce qui me concerne, je crois que ce séjour était vraiment une occasion unique pour être dans des conditions d’immersion aussi complète et je pense qu’il m’a permis d’apprendre beaucoup, aussi bien au niveau linguistique que culturel.

FIN DU PREMIER EPISODE

Prochainement dans vos boites aux lettres, « Mais comment-est-ce qu’elle a atterri à Pékin? » et « Qu’est-ce qu’elle y fiche? »

*Unité de travail:
traduction du terme chinois (danwei) qui désigne l’élément communautaire auquel se rattache un individu. Il peux s’agir d’une école, d’une entreprise, d’un institut, … Dans le système communiste, un individu n’existait que par son appartenance à une danwei. On pourrait presque dire que la société chinoise n’était (n’est?) pas faite d’individus mais de danwei. Celle-ci prenait en charge et contrôlait absolument tous les aspects de sa vie: travail, logement (construit et affecté par la danwei), soin médicaux (donc contraception et contrôle des naissances), nourriture (cantine, obligatoire pendant les périodes les plus dures du régime), éducation des enfants (affectation des places dans les écoles), … Aujourd’hui elles ont un peu perdu de leur pouvoir, mais l’esprit d’appartenance à une communauté reste très présent.

**Guanxi: (littéralement: relations)
Elles forment de véritables réseaux qui entravent énormément les chinois car ces relations peuvent parfois se réduire simplement à une vague connaissance commune, mais du fait de ces guanxi, ils sont souvent contraints d’aider ou de se porter garant pour des gens qu’ils ne connaissent pas bien voire même qu’ils n’apprécient pas. (C’est par exemple pour cette raison que M. Li s’est vu plus ou moins obligé de servir d’intermédiaire à C. W. qu’il ne connaissait pas.) Le problème le plus grave est qu’elles sont largement mises à contribution dans le domaine professionnel où les compétences et la législation devrait être prioritaires. (En d’autre terme elles sont intimement liées au problème de la corruption).

Elf, la pompe Afrique

Parole

Elf, la pompe Afrique (affiche)

Les vraies paroles d’un procès qui nous regarde. Histoire de comprendre.

Pétrole, partis politiques, renseignement. Rien d’austèrement pédagogique, mais un panel de personnages truculents et souvent drôles qui redisent à travers Nicolas Lambert les paroles qu’ils ont prononcées pendant le procès Elf ou lors d’interview.

Une manière plaisante de se plonger dans les coulisses de la République, même si vous risquez d’apprendre des choses qui vont pas vous faire plaisir…

Nicolas Lambert – Elf, la pompe Afrique, au Théâtre « Le Grand Parquet » (Paris), mars 2011

Si vous en avez l’occasion, ne manquez surtout pas le spectacle en live! calendrier